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Fier de lever le pied de temps en temps

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Non issu du milieu agricole et appartenant à la fameuse « classe moyenne », Gautier Mazet -paysan de la Ferme du ValFleury et co-fondateur de la fromagerie AlterMonts, a eu la chance de pouvoir partir tous les ans en vacances et d’en revenir avec d’innombrables souvenirs. Une des craintes de ses proches quand il s’est orienté dans le monde agricole, c’est le rythme intense et cette difficulté à pouvoir prendre « facilement » du temps libre ! Cette année pendant ses congés, il a justement pris le temps de revenir sur son rapport aux vacances en tant que paysan, afin de le partager.

Paysan, un métier sans vacances ?

« Aujourd’hui encore, quand on discute un peu de notre métier de paysan, une des premières phrases qui ressort est souvent « vous arrivez à prendre un peu de vacances ? ». Comme souvent elle est symptomatique d’une certaine vérité puisque le milieu agricole est un secteur où les vacances sont encore considérées comme un bonus ou se résument à une semaine par an, un week-end par-ci par-là…

 

Je me souviendrai toujours de la réaction de ma mère quand mon grand frère Adrien (l’un des paysans fondateur d’AlterMonts) lui a annoncé qu’il avait envie de devenir paysan après deux ans d’études supérieures… Fille d’agriculteur, elle n’a pas connu de vraies vacances durant son enfance et cela l’a marqué ! Ce manque est ressorti pour elle ce jour-là… Quelques années plus tard, quand j’ai emboîté le pas de mon frangin, c’est mon grand-père parternel qui l’a exprimé à son tour, lui qui avait tout fait pour quitter la ruralité. Imaginez, un deuxième petit-fils qui « faisait machine arrière » ça a été dur à encaisser ! La dureté agricole aura marqué plus d’une génération ! »

La difficulté de quitter sa ferme et les solutions existantes

« Alors quelles sont les solutions pour pouvoir se dégager un peu de temps libre, prendre le temps de s’éloigner de la ferme, de déconnecter un peu ? Comment vit-on cette coupure ? Je voulais simplement vous faire part de notre organisation à la ferme du Val Fleury et de mon ressenti sur ces vacances d’été.

S’absenter d’une ferme ce n’est pas simple, quelques soit la production. Le maraîcher devra se poser la question de l’arrosage de ses légumes, d’une éventuelle absence sur les marchés et de la réaction de ses clients. Mais aussi, que faire de la production ? Une éleveuse elle, devra se demander qui sera en mesure de nourrir ses bêtes, de les soigner ? Bref, une ferme ne peut être mise en pause, il faut donc trouver des personnes pour faire ce travail quotidien et pour cela plusieurs solutions existent : un salarié, un service de remplacement, le travail en collectif »

Notre organisation à la Ferme du Valfleury

« Sur la ferme du Val Fleury, nous sommes 4 associés. Un des gros avantages de ce fonctionnement est de pouvoir se remplacer assez facilement. Les vacances d’été s’envisagent alors assez sereinement. Notre volonté sur la ferme est de garder une polyvalence sur le travail quotidien de chaque atelier afin qu’aucun d’entre nous ne soit « indispensable ». Tout le monde sait traire, conduire un tracteur ou bien faire des yaourts. La charge mentale de chaque atelier est répartie entre nous 4 alors chacun fait sa petite liste de consigne avant de partir. Où en est le pâturage ? Que reste-t-il à semer ? Quels yaourts à transformer, pour quels clients ?

Les toutes dernières heures avant le départ sont souvent assez chargées et j’essaye de ne rien oublier… Ce qui n’est pas ce sur quoi je suis le meilleur ! J’ai souvent l’impression de partir 3 mois… mais en même temps il s’en passe des choses sur une ferme en 15 jours ! Et puis c’est le grand soir ! Un dernier remerciement à l’équipe qui va assurer pendant mon absence, un dernier coucou aux vaches et me voilà en va-can-ces ! »

Mes vacances, déconnectées, ou presque...

« Pour profiter pleinement de ses vacances, il faut partir ! Ne pas voir ce qui va se passer pendant ces 15 jours, ne pas croiser mes collègues car l’envie de discuter de la ferme serait naturelle… Je coupe les notifications, j’arrête d’aller voir les mails, je préviens mes contacts réguliers de mon absence. De petites astuces qui permettent de bien couper, même si le lien est toujours un peu présent… De petites informations à droite à gauche, un coup de fil… Mais je pense sincèrement que ce serait presque plus difficile de n’avoir aucunes nouvelles. A rajouter à ça un peu de déformation professionnelle, quelques commentaires sur la météo du coin, sur le paysage agricole… et l’envie de voir des collègues paysans du coin où l’on est, on cible les marchés, les événements… Difficile également de faire abstraction totale de l’actualité agricole… Je découvre les premiers foyers de DNC, les premiers abattages… Une semaine plus tard, je découvre avec joie que la pétition contre la Loi Duplomb prend de l’ampleur… Notre métier n’est jamais bien loin ! »

Rentrer, ressourcé et motivé

« Et puis il y a le retour après 3 mo… heu 15 jours… et demi ! C’est fou ce que le temps passe plus lentement quand on lève le pied ! Je retrouve les vaches, les odeurs de la ferme… j’atterris, on discute autour des vacances, je prends des nouvelles, « qu’est ce qui s’est passé pendant tout ce temps ??? ». Passé ces quelques heures, je me raccroche aux wagons et repars motivé et reposé en laissant ma place de vacancier au suivant !

Personnellement, l’installation en collectif m’est apparu comme une évidence et à chaque week-end de libre, à chaque vacances, à chaque moments passés en famille, je me rends compte de la possibilité de profiter pleinement de ces instants-là. Alors évidemment, tout ne se fait pas tout seul et un collectif ça se construit, ça évolue, ça se fait vivre… Il faut accepter des concessions en contrepartie de ces avantages. »

Etre bien au travail, c'est aussi lever le pied de temps en temps

« Le bien-être au travail fait partie intégrante de l’attractivité du métier de paysan·nes ! A l’heure où la moitié des agriculteur·ice·s auront pris leur retraite d’ici 2030, il est primordial de réussir à transmettre ces fermes pour une installation massive de paysan·ne·s !

A AlterMonts, nous démontrons qu’il est possible d’avoir des fermes bio à taille humaine faisant vivre des travailleur·euse·s heureux-heureuses de leur métier, passionné·e·s de leur travail et fier·e·s de prendre le temps, en levant le pieds de temps en temps ! »

Crédits photos © Caroline Paymal, Matthieu Gloria, Gilbert et Anne Besson, Jérome Barange, Gautier Mazet